Au cœur du vingtième siècle, une tempête sociale a secoué la province du Goujjam en Éthiopie. La Révolte du Goujjam, qui a éclaté en 1931, représente un moment charnière dans l’histoire de l’empire éthiopien, illustrant les tensions profondes entre les aspirations populaires et les politiques centralisatrices d’un régime moderne en plein essor.
Pour comprendre la genèse de cette insurrection paysanne, il faut plonger dans le contexte socio-économique prédominant du Goujjam. Cette région fertile, réputée pour sa production de café, était traditionnellement gouvernée par une structure sociale complexe où se côtoyaient des nobles locaux, des clercs religieux et une population majoritairement composée de paysans cultivant leurs terres en autonomie.
Or, au début du XXe siècle, l’empire éthiopien, sous la houlette de l’empereur Menelik II puis de son successeur Haile Selassie Ier, entreprenait un ambitieux processus de modernisation. Ce projet impliquait une centralisation administrative accrue, une réforme des systèmes fonciers et une extension du pouvoir fiscal de l’État.
C’est dans ce contexte que les frustrations des paysans du Goujjam ont commencé à monter. L’introduction d’impôts nouveaux, perçus comme exorbitants, couplée à la pression croissante sur les terres cultivables – conséquence directe de l’expansion des grandes plantations de café exploitées par des investisseurs étrangers – ont engendré une profonde méfiance envers le gouvernement central.
L’élément déclencheur de la révolte fut la tentative d’imposition d’un impôt spécial sur le bétail, pilier économique essentiel pour les paysans du Goujjam. Cette mesure, perçue comme injuste et discriminatoire, a ravivé le ressentiment latent envers les autorités impériales.
Sous la direction de chefs charismatiques tels que Dejazmach Awoke, ancien gouverneur du district de Wollega, et Fitawrari Tekle Mariam, commandant militaire local ayant rallié la cause des paysans révoltés, la Révolte du Goujjam s’est rapidement propagée dans les districts voisins.
Les insurgés, armés de fusils traditionnels et d’armes blanches, ont mené une série d’attaques contre les postes administratifs, les garnisons militaires et les propriétés appartenant à des fonctionnaires corrompus. Leur slogan principal, “Liberté du Goujjam !” résumait parfaitement leur aspiration à un système politique plus juste et respectueux de leurs droits.
La lutte contre la Révolte du Goujjam a été difficile pour le gouvernement impérial. L’armée éthiopienne, malgré sa modernisation progressive, a rencontré des difficultés à maîtriser les mouvements d’une guérilla paysanne agile et connaissant parfaitement le terrain montagneux du Goujjam.
Après plusieurs années de combats sanglants, la Révolte du Goujjam a finalement été réprimée en 1936, grâce à une combinaison de stratégies militaires efficaces et de concessions politiques accordées par le gouvernement impérial. Parmi ces concessions figuraient la réduction des impôts sur le bétail et la promesse d’une plus grande participation des populations locales aux décisions politiques.
Cependant, les conséquences de la Révolte du Goujjam ont dépassé largement la simple répression militaire. Cet événement marquant a contribué à renforcer la conscience nationale éthiopienne, en démontrant la capacité de résistance du peuple face à une administration jugée oppressive. De plus, elle a forcé le gouvernement impérial à reconsidérer certaines de ses politiques modernistes, en mettant l’accent sur un développement économique plus équitable et sur une meilleure prise en compte des intérêts locaux.
En conclusion, la Révolte du Goujjam représente un épisode majeur dans l’histoire de l’Éthiopie au XXe siècle. Elle témoigne de la complexité des processus de modernisation en Afrique et des défis posés par la confrontation entre traditions ancestrales et aspirations à un avenir plus juste.